Mission agile de rêve ou épopée façon Hobbit en Mordor ?

Coach Agile, tu t’imagines souvent tel un héros du digital, prêt à affronter les défis technologiques les plus fous, propulsé dans une mission innovante, agile, avec des équipes dynamiques, une roadmap millimétrée et des stand-ups rythmés comme des chorégraphies de K-pop. Mais parfois… Parfois, tu te fais embarquer dans une mission soi-disant « idéale », vendue par un commercial qui pourrait vendre du Wi-Fi à un moine tibétain, et tu te retrouves dans un contexte organisationnel digne d’un épisode perdu de « Code Quantum » version années 90.

Bienvenue dans ma nouvelle mission. Ou, comme j’aime l’appeler désormais : « Le Retour en Terre du Milieu« .

hobbits et mordor

Les Hobbits et le Mordor

Le pitch : la mission parfaite (sur le papier)

Tout commence par un appel d’un commercial survolté :

J’ai LA mission parfaite pour toi. Gros client. Projet stratégique. Tu vas adorer. C’est moderne, transformation digitale à gogo, des gens super, une vraie opportunité de faire bouger les lignes.

Il me parle d’agilité, de DevOps, de CI/CD, de SAFe (j’aurais dû me méfier à ce moment-là), de squad pluridisciplinaire, et même de Sponsor de haut niveau dans l’organisation convaincus par l’agilité à l’échelle. On y croit. On s’imagine déjà dans une war room design, post-its au mur, ambiance Spotify, avec des users stories chantées à la guitare.

Spoiler alert : tout était faux.

La découverte du Mordor organisationnel

Dès le premier jour, quelque chose cloche.

À l’accueil, on me donne un badge… imprimé à la machine à étiquettes Dymo. Bon, OK. L’ambiance est un peu « musée de l’informatique », mais restons positifs. Premier Daily meeting : une réunion d’1h30 en salle de réunion, avec des PowerPoint imprimés (oui, imprimés), animée par un chef de projet en chemisette, convaincu que l’agilité c’est « faire des réunions plus souvent ».

Là, j’ai compris :

Je ne suis pas dans une mission. Je suis dans une reconstitution grandeur nature de la gestion de projet des années 90.

  • Les équipes ? Silotées comme des conserves de haricots verts. Si tu veux échanger avec les développeurs d’une autre équipe, passe d’abord par le Chef de projet qui te demandera un code budget pour imputer le temps consommé.
  • Les livraisons ? Trois par an. Oui, par an. Mais bon comme on est agile, on pousse quand même jusqu’en pré-production… Puis on attends que le Release Manager donne le GO pour passer en production pour respecter le planning des 3 MEP annuelles.
  • Les outils ? On utilise Jira, donc on est agile… Non ?
  • Le projet ? Oui, vous avez bien lu, on parle de projet et pas de produit (d’ailleurs, kezako un produit ?).

Je suis tombé dans une faille spatio-temporelle.

Le lexique local : du « fonctionnement agile » à la sauce Rétro

Petit florilège des expressions entendues :

  • « On fait de l’agilité à notre façon » → Traduction : cascade en 14 étapes, avec validation du DSI, de l’urbaniste et de la grand-mère du Chef de projet.
  • « On a un backlog » → Traduction : une liste Excel sans priorisation, datant de 2018.
  • « Nos équipes sont autonomes » → Traduction : les developpeurs n’ont pas le droit de parler aux Ops sans faire un ticket Jira.

C’est simple : même Frodon aurait abandonné la mission. Et lui, au moins, avait une carte et un ami loyal. Moi j’ai juste un accès limité à Jira et Confluence.

Le syndrome du « Coach agile porteur de lumière »

Alors tu essaies. Tu proposes des rituels agiles. Tu parles d’itérations, de MVP, de collaboration, tu montres des schémas, tu partages des articles. Tu penses même à ramener des post-its fluos.

Mais ici, l’innovation fait peur. La nouveauté est accueillie avec des regards suspicieux, comme si tu avais proposé de remplacer la machine à café par un potager bio.

On te dit gentiment :

C’est intéressant ce que tu proposes, mais on a toujours fait comme ça. Et ça marche très bien.

Spoiler : ça ne marche pas.

La résistance : humour, café et stratégie de survie

Dans ce genre de mission, il faut s’accrocher. Garder l’humour comme arme de destruction massive du désespoir. Boire beaucoup de café. Échanger en off avec les autres consultants en mode « groupe de parole », façon réunion des Anonymes de l’Agilité Infiltrée.

Et surtout, éviter de dire « chez mon client précédent » trop souvent, sous peine d’être transformé en horcruxe de frustration par les anciens du service.

Lueur au loin : la lumière au bout du tunnel (ou du tunnel de livraison)

Et pourtant…

Et pourtant, après quelques semaines, tu vois des regards curieux. Des collègues qui posent des questions. Un Product Owner qui commence à utiliser « prioriser » dans une phrase. Un manager qui demande ce qu’est un sprint. Un développeur qui ose dire qu’il aimerait tester une nouvelle approche.

Ce sont des petits signes, mais ce sont les bons signes.

Tu réalises alors que ta mission n’est peut-être pas la grande aventure glamour vendue par le commercial. Mais c’est une vraie mission de transformation, dans un contexte qui a justement besoin de consultants comme toi.

Pas pour tout révolutionner du jour au lendemain, mais pour planter des graines. Introduire un peu de modernité. Inspirer. Rendre visible ce qui peut fonctionner autrement.

Bref. : Un Hobbit peut changer le monde (un sprint à la fois)

Alors oui, cette mission n’est pas un conte de fées. C’est une épopée. Avec des détours, des murs invisibles, des monstres bureaucratiques et des orcs de la validation en 5 exemplaires. Mais comme tout bon Hobbit, tu avances. Petit à petit. Avec humour, patience, et détermination.

Et un jour, peut-être, tu verras naître une équipe agile dans ce royaume endormi.

Car au fond, c’est ça être Coach Agile : faire avancer le monde, même de quelques post-its.

Claude BUENO

J’aide les équipes à développer leurs pratiques agiles et collaboratives. Je blogue depuis 2008 sur la transformation numérique, le développement d'applications web et mobile et les pratiques pour les réaliser dans les meilleures conditions. Sujets de prédilection : agilité, coaching, digital, management, marketing, développement web et mobile

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